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ZOUBIDA MSEFFER


YASMIN


[FR]

L’histoire de Yasmin, la concubine de mon arrière grand-père, est un héritage légué par ma grand-mère. Lalla Hajja aimait parler de son père, PPa, qui, avant sa naissance, avait vécu dix-huit ans à Manishisteer en emmenant avec lui Dada El Yasmin. J’adorai m’asseoir entre elle et ma mère, enveloppée toute entière sous une de ces couvertures kitch aux motifs fleuris et éclatants, et les écouter dire et redire les mêmes histoires. Celle-ci raisonnait tout particulièrement. C‘était comme le début d’un roman ou d’un film. J’étais intriguée et fascinée par la vie de cette jeune femme qui avait voyagé et vu le monde. Je me sentais proche de Yasmin, plus que de mon arrière grand-père. Il y a environ cinq ans, ma tante a rapporté d’un voyage à Manchester la preuve de l’existence de Yasmin et l’unique trace tangible de sa vie. L’extrait du registre du recensement de 1911. J’ai voulu en savoir plus et enquêter sur la vie de cette femme. J’ai voulu consigner son histoire. Ne pas la laisser s’échapper. L’attraper au vol tant qu’il est possible d’en saisir quelques bribes. Je cherche et collecte les souvenirs et les photos de famille. Je recycle d’autres archives et assemble des fragments pour combler les manques et les silences laissés par le récit familial.

Ce que je pensais être une histoire d’amour, comme si l’amour pouvait compter pour quelque chose à cette époque, est en réalité l’histoire d’une jeune fille dont le corps porte la marque d’une histoire qui dure depuis des siècles. Elle raconte les innombrables histoires de femmes soumises aux jeux des hommes. Je vois en Yasmin l’ombre des dada, khadem, abid, témoins silencieuses de la culture de l’esclavage et de l’asservissement des corps dont la société marocaine a été longtemps le théâtre. Je vois aussi l’ombre de mon arrière grand-mère, de ma grand-mère, et de toutes les femmes, prisonnières dans des vies qu’elles consentent à mener parce que « c’était comme ça à l’époque ». L’histoire de Yasmin est singulière parce que c’est celle aussi d’une jeune femme qui a voulu et qui a réclamé sa liberté. Sa vie commence à la fin du XIXème siècle et s’achève vers 1960. Pour moi, l’enquête ne fait que commencer.

[EN]

The history of Yasmin, my great-grandfather’s concubine, is a story told I first heard from my grandmother. Lalla Hajja liked to talk about her father, PPa, who, before her birth, had lived eighteen years in Manishisteer with Dada El Yasmin. I loved sitting between Lalla Hajja and my mother, wrapped tight in a kitsch, flowery, shimmering blanket, listening to them recount family stories. In particular, the story of Yasmin resonated with me. It was like the start of a novel or a movie. I was intrigued and fascinated by life of this young woman who had traveled and seen the world. I felt closer to Yasmin, than to my great grandfather. About five years ago, one of my aunt’s brought home proof of Yasmin’s existence from her travels. The document my aunt obtained, the extract from the 1911 Manchester census register, is the only tangible record of Yasmin’s life. On seeing this record, I wanted to understand more of her life. To know who this woman was. I wanted to record her story. To not let her be forgotten. I therefore began retracing her journey by collecting memories, family photos, and other archives. I followed in her footsteps to places she had known. And I tried to fill in the gaps and the silences left by holes in memories, in an attempt to hold on to fragments of her life story.

What I had thought was a love story, if love could count for something at that time, is actually the story of a young girl whose body bore the marks of a history of subjection. Her story mirrors that of countless women, subject to men’s games. I see in Yasmin the shadow of the dada, khadem and abid, silent witnesses to the culture of slavery and the enslavement of bodies for which Moroccan society has long been the setting. I also see the shadow-lives of my great-grandmother, of my grandmother, and of all the women of this era, who lived as prisoners in the lives they led, with no alternative choices. Yasmin’s story is nonetheless unique because it is also that of a young woman who wanted and claimed her freedom. Her life begins at the end of the 19th century and ends around 1960. For me, this work, is just the beginning of a deeper search.






QUELQUES RÉFÉRENCES


Malik Chebel, l’esclavage en terre d’islam, chap. le
Maghreb, autre continent noir,  p. 238, Fayard/Pluriel, 2010).

Chouki El Hamel, Le Maroc noir: une histoire de l’esclavage,
de la race et de l’Islam, La croisée des chemins, 2019

Rita Aouad Badoual, La fin tranquille de l’esclavage, Zamane, numéro 26, Juin 2011

Rita Aouad Badoual , « Esclavage » et situation des « noirs » au Maroc dans la première moitié du XXe siècle
Dans Les relations transsahariennes à l’époque
contemporaine, Karthala, 2003

Khalid Bekkaoui, Fassi merchants come to Manchester,
Moroccan Cultural Studies Centre University Sidi
Mohammed Ben Abdallah, 2016

« DUSKY SALLY » LA FEMME ESCLAVE ENTRE HISTOIRE ET FICTION, Joanne Chassot, « A contrario » 2010/2 n° 14 |
p.78 à 91.

THE LIFE OF SALLY HEMINGS, Monticello exhibition: https://www.monticello.org/sallyhemings/?ref=briefaccount

AVEC MES REMERCIEMENTS À


Amina Msefer
Rachida Benhamou
Latefa Benhamou
Driss Msefer
Ali Msefer
Rajae Msefer Berrada
Huda Tayob
Nicolas Beaume
Jamal Eddine Mseffer
Anna Ravix
Fatima Zahra Lakrissa 
Rita Aouad Badoual
François-Xavier Fauvelle
























Zoubida Mseffer est consultante indépendante et coordinatrice de projets. Elle s’intéresse aux vulnérabilités et aux projets au croisement de la culture et du social. Elle est titulaire d’une maîtrise en anthropologie et d’une maîtrise en architecture et patrimoine. Elle a travaillé pendant prés de dix ans à l’UNESCO avant de collaborer à des projets indépendants.
Zoubida Mseffer is an independent consultant and coordinator of projects. She is interested in vulnerabilities and projects at the
intersection of culture and social action. She holds a master’s degree in anthropology and a master’s degree in architecture and heritage. She worked for nearly ten years at UNESCO befor collaborating on independent projects.

︎: @zoubidamseffer




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